Parce que le combat pour l'égalité entre les Femmes et les Hommes passe aussi par la littérature, une critique d'un livre à lire absolument
Place à une oeuvre littéraire, magnifique exemple de récit sur de lutte des Femmes et sur la solidarité féminine.
Un double portrait
Les victorieuses de Laëtitia Colombani racontent le combat de deux femmes, l’une vit au siècle dernier, elle s’appelle Blanche Peyron, l’autre vit de nos jours, elle est avocate.
Portrait de Blanche : une féministe du XIXème siècle
Blanche Peyron est une militante, elle voue sa vie à l’Armée du Salut, empathique de nature, elle ne peut voir la souffrance sans agir « Les femmes, tout particulièrement, la touchent. Elles sont ses sœurs de rue, ses slums sisters, comme les nomment les Anglais. En chacune d’elles, Blanche se reconnaît. Elle voit une autre version d’elle-même, une version maltraitée par la vie. Un pot cassé, qu’elle voudrait réparer. » (p97). Face à une jeune mère à la rue depuis son accouchement, avec son bébé, face à l’absence de places dans le centre d’accueil de la Fontaine au Roi, un refuge pour femmes qu’elle a fondé avec son mari quelques années auparavant, elle décide d’agir.
Portrait de Solène : une femme qui découvre les questions féministes au XXIème siècle
Solène est une avocate qui a fait un burn-out suite au suicide d’un de ses clients. Pour se sortir de sa dépression, elle décide de consacrer quelques heures comme écrivain public dans un foyer pour femmes au Palais de la Femme. Là, Solène découvre un univers qu’elle ne soupçonnait pas.
Un point de convergence entre ces deux femmes
Ces deux histoires vont trouver leur point de convergence au fil du récit. C’est non seulement un récit très émouvant mais c’est aussi un récit volontariste, optimiste, comme le montre le titre, même s’il n’édulcore pas la réalité, loin de là.
Et une multitude de portraits de femmes très forts
Deux extraits parmi tant de passages qui pourraient être choisis, deux portraits de résidente du Palais de la femme
Salma
« Salma, en arabe, son prénom signifie « entière, en bonne santé ». Elle se dit fière de le porter. Elle raconte comment, dans son pays, les femmes sont dépossédées de leur identité. Dans la société afghane, les étrangers à la famille n’ont pas le droit de connaître le prénom des femmes. On doit les appeler par celui d’un homme. Elles sont « la femme de », « la fille de », « la sœur de ». En cas de doute, on dit « tante ». Les Afghanes n’ont pas d’existence propre dans l’espace public. Cette tradition persiste notamment dans les campagnes, où vivent les trois quarts de la population. Partout, les femmes luttent pour la reconnaissance de leur identité. Elles clament leur droit à exister.
Ici, Salma n’est la fille ni la sœur de personne. Elle est simplement elle, Salma.Elle tient debout toute seule, et cela lui plaît. » (p111)
Viviane
« Il fut un temps où Viviane jouait un rôle dans le spectacle de la vie.Mariée, mère de deux enfants, elle menait une existence en apparence ordinaire, dans une banlieue plutôt huppée. Son époux était dentiste, elle tenait le secrétariat de son cabinet. Ses bleus, elle s’arrangeait pour les cacher du mieux qu’elle pouvait. Viviane est une rescapée, comme Cvetana. La guerre, elle l’a faite elle aussi – pas besoin d’aller en Serbie. La sienne a duré vingt ans, près d’ici, dans un joli pavillon entouré de rosiers. Son ennemi était bien habillé; il avait les traits de son mari. Le champ de bataille, c’était son corps à elle, un corps battu, maltraité, frappé à longueur de journée. Des coups, Viviane en a pris. Des coups d’à peu près tout. Des coups de poing, des coups de pied, des coups de fer à repasser, des coups de chaussure, des coups de ceinture. Des coups de couteau aussi, lorsqu’elle a voulu le quitter. Si les voisins n’étaient pas intervenus, son mari l’aurait tuée.
De ce jour funeste, Viviane a gardé un léger boitillement, et une cicatrice à la joue, façon Joker. Ça lui fait comme un sourire à l’envers.
Son mari a été arrêté et jugé, condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis.
Cinq ans pour la vie d’une femme, ce n’est pas cher payé, songe Solène. Tous les deux ou trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint, dans ce pays qu’on dit civilisé. Jusqu’à quand ? Dans la nature, aucune autre espèce ne se livre à ce jeu de massacre. La maltraitance des femelles n’existe pas. Pourquoi chez les humains ce besoin de détruire, de briser ? Il y a les enfants, aussi. D’eux, on ne parle pas, ou si peu. Victimes collatérales des violences conjugales, ils sont des dizaines à mourir chaque année en même temps que leur mère, assassinés par leur père.
Durant la journée, les mains de Viviane sont occupées et lui évitent de penser. Mais la nuit, les démons resurgissent. Viviane rêve qu’il revient la chercher. Elle se réveille en nage, tremblante, terrorisée. »(142-143)