Face à la baisse démographique, d’autres stratégies sont possibles que la réduction du nombre d’enseignant·e·s, et partant du taux d’encadrement des élèves par classe.
C’est ce qu’explore et démontre la note collective de l’Institut des politiques publiques, « Taille des classes et inégalités territoriales : quelle stratégie face à la baisse démographique ? », in Perspectives budgétaires, chapitre 4, juin 2025.
Dans un entretien pour le dossier du no 516 – Septembre-octobre 2025 de nos Pages spéciales de CFDT Magazine , l’un de ses co-auteurs, , développe quelle politique éducative déployer pour faire de la baisse démographique un atout économique, pédagogique et d’équité sociale.
♦ Entretien.
Si certains responsables politiques estiment que les économies prioritaires pour le pays doivent porter sur l’Éducation nationale, il faut rappeler qu’un euro économisé à court terme peut engendrer un cout social de 9 euros à long terme. Si l’on veut traiter la dépense éducative comme un investissement, on doit être conscient que le budget de l’Éducation nationale, aussi important soit-il, n’est pas le gisement le plus intéressant d’économies à faire.
Qu’en est-il de la baisse démographique en France et quelles répercussions sur l’École ?
D’environ 830 000 naissances en 2010, on est passé à 660 000 en 2024, soit une baisse de 20 % des naissances annuelles. Selon les projections de l’Insee, cette dynamique devrait se prolonger au moins jusqu’en 2030. Dans le premier degré (objet central de notre étude), les effectifs scolaires ont déjà diminué de 8 % depuis 2015, et l’on s’attend à une baisse supplémentaire de 19 % d’ici 2034 – ce qui représenterait une baisse cumulée d’environ un quart des effectifs depuis le pic du milieu des années 2010. Dans le second degré, le nombre de collégiens devrait baisser de 20 à 25 % au cours des 15 prochaines années. De quoi placer les politiques publiques face à des arbitrages décisifs, notamment en matière de recrutement des enseignants et d’encadrement des élèves.
Vous analysez deux stratégies pour faire face à cette baisse démographique…
Un premier scénario répond à la baisse démographique en maintenant la taille des classes à son niveau actuel et en réduisant les effectifs enseignants : une baisse d’environ 54 000 professeurs des écoles d’ici 2034 permettrait une économie budgétaire annuelle de l’ordre de 3,4 milliards d’euros à cet horizon.
un grand nombre d’études internationales ont établi qu’une taille de classe réduite améliore les acquis scolaires, et d’autres travaux ont montré qu’à terme, cela favorise l’insertion professionnelle à travers des salaires plus élevés et de meilleurs salaires
Mais aujourd’hui, la France est l’un des pays dont les classes dans l’élémentaire sont les plus chargées, avec environ 22 élèves par classe contre 19 en moyenne dans l’Union européenne, ce qui est cohérent avec le fait que la dépense par élève est inférieure de 20 % à la moyenne de l’OCDE. Or un grand nombre d’études internationales ont établi qu’une taille de classe réduite améliore les acquis scolaires, et d’autres travaux ont montré qu’à terme, cela favorise l’insertion professionnelle à travers des salaires plus élevés et de meilleurs salaires.
Nous avons donc imaginé une stratégie alternative de maintien du nombre d’enseignants : elle permettrait de réduire progressivement la taille moyenne des classes jusqu’à atteindre 18 élèves en 2034. Le bénéfice économique serait de l’ordre de 4,5 milliards d’euros par an en salaires futurs des élèves, et l’augmentation des recettes fiscales pour l’État serait de l’ordre de 2,9 milliards d’euros – ce qui, à long terme, abaisserait le cout de la mesure. Dans ce scénario, un euro investi dans la taille des classes – levier objectif d’amélioration des compétences et de l’insertion professionnelle – produirait un bénéfice neuf fois supérieur à l’échelle de la collectivité. Soit un investissement éducatif très rentable. D’autant que notre étude s’intéresse aux seuls élèves, mais c’est également le gage d’une amélioration des conditions de travail des enseignants…
Nous avons (…) imaginé une stratégie alternative de maintien du nombre d’enseignants : elle permettrait de réduire progressivement la taille moyenne des classes jusqu’à atteindre 18 élèves en 2034. Le bénéfice économique serait de l’ordre de 4,5 milliards d’euros par an en salaires futurs des élèves, et l’augmentation des recettes fiscales pour l’État serait de l’ordre de 2,9 milliards d’euros
Qu’en est-il des inégalités territoriales ?
Dans le premier degré, on retrouve au sein des mêmes territoires la plus forte baisse à la fois d’effectifs scolaires et de taille des classes. Ainsi Paris, qui a déjà perdu 20 % d’élèves, est la ville en France où la taille des classes a le plus baissé. Et celle-ci a peu varié en Seine-Saint-Denis qui, pourtant, a gagné beaucoup d’élèves. Aujourd’hui, la taille des classes – hors éducation prioritaire – peut dépasser 24 élèves en moyenne dans certains départements alors qu’elle est inférieure à 19 dans d’autres. Cette différence, qui n’est pas justifiée par des écarts sociaux, pose un problème d’équité.
Cela implique de planifier les besoins en enseignants pour les dix prochaines années de façon très coordonnée, un peu à la manière du Conseil d’orientation des retraites qui établit des scénarios à long terme et fait des recommandations en conséquences. Le premier scénario peut aboutir, dans certains départements comme la Meurthe-et-Moselle, à des diminutions des effectifs enseignants de plus de 30 % par rapport à aujourd’hui. Les mutations et départs en retraite n’y suffisant pas, il faudra geler les recrutements.
Dans le scénario qu’on prône, le nombre d’enseignants est maintenu mais avec une réallocation des effectifs entre départements pour limiter les disparités territoriales, en veillant à ce que la taille des classes baisse globalement et s’harmonise. Notre étude invite à sortir des habitudes actuelles d’aménagements locaux sans vue d’ensemble des enjeux de la baisse démographique, occasion unique de ramener la taille des classes dans le premier degré, puis dans le second degré à une norme plus proche de celle des pays européens qui assurent un meilleur taux d’encadrement à leurs élèves. Et partant, des acquis scolaires aussi mieux assurés.
Cela pourrait-il redonner l’avantage au secteur public d’éducation ?
L’influence de la baisse démographique sur l’équilibre public-privé n’est pas interrogée ici, mais une précédente étude centrée sur Paris (Julien Grenet, « L’école publique a-t-elle encore un avenir à Paris ? », enquête statistique, février 2024) établit qu’elle est entièrement absorbée par l’école et les collèges publics. Les effectifs du public chutent, ceux du privé se maintiennent. La diminution de la taille des classes dans le public est une bonne chose, mais la ségrégation sociale est renforcée parce que l’accès au privé aujourd’hui est quasiment réservé aux élèves issus de catégories socioprofessionnelles favorisées.
Si la tendance se poursuit, dans dix ans la part du privé à l’entrée en 6e deviendra majoritaire à Paris. Le fossé social entre public et privé se creusera encore, aboutissant à une École à deux vitesses – selon un modèle qui, à ma connaissance, n’existe qu’au Chili et pose un problème en matière d’égalité républicaine. En effet, la réduction de la taille des classes dans le public ne suffira pas à compenser l’effet négatif de la ségrégation sociale sur les élèves, car à mesure que la composition sociale du public se paupérisera, de plus en plus de parents des milieux favorisés le déserteront. Ce phénomène est bien documenté dans d’autres pays, à l’image du White Flight américain.
Aussi, pour ne pas déséquilibrer durablement l’offre scolaire, il faudrait, quand on ferme des classes dans le public, en fermer également dans le privé. La part du privé à Paris est aujourd’hui proche de 40 % à l’entrée en 6e. Pour simplement maintenir ce niveau, déjà très élevé, il faudrait pour trois classes fermées dans le public, en fermer deux dans le privé. Or dans la réalité, on n’en ferme quasiment aucune !
Il y a là un enjeu très important en matière de mixité sociale…
Dans certains territoires, la baisse démographique pourrait donc avoir un fort effet de ségrégation scolaire du fait de la structure de financement du privé et aussi parce que les négociations sur les fermetures de classes ne se font pas de manière coordonnée avec l’enseignement public. Là encore, l’absence de vision d’ensemble déforme complètement l’offre scolaire. Il y a là un enjeu très important en matière de mixité sociale…
Quel autre sujet privilégieriez-vous d’étudier en lien avec la baisse des effectifs scolaires ?
Assurément la question, partiellement traitée dans l’étude, des fermetures de classes et d’écoles en milieu rural. La baisse démographique crée déjà une tension dans certains territoires où des établissements ne sont plus viables faute d’avoir assez d’élèves. Il y a donc un enjeu de restructuration pour réussir à maintenir un maillage scolaire suffisamment dense, mais en même temps avec des effectifs raisonnables. Cela suppose une politique de transports scolaires à la hauteur pour ne pas désavantager des élèves.
Le contexte politique et économique actuel est-il favorable à l’adoption du scénario que vous défendez ?
La baisse démographique, une tentation d’économies à court terme.
Si l’on était dans une situation économique moins contrainte par la question des finances publiques, le débat se poserait de façon plus sereine. Aujourd’hui, la tentation est grande de voir un gisement d’économies dans la diminution des effectifs enseignants que permet la baisse démographique. Quand on parle des bénéfices économiques associés à une taille de classe réduite, ce n’est pas une réalité tangible à court terme. Cela ne se manifestera que lorsque les élèves d’aujourd’hui seront adultes, percevront des salaires et paieront des impôts. Cette perspective risque de paraitre lointaine à nos responsables politiques. C’est cependant le cas de toute dépense éducative : l’investissement éducatif n’est pas « rentable » à court terme, sinon on n’investirait jamais dans l’éducation !
La rentabilité s’évalue sur un temps long. C’est l’objet d’une note que j’ai récemment écrite avec Camille Landais (« Éducation : comment mieux orienter la dépense publique » in Les notes du Conseil d’analyse économique, no 84, mai 2025) : pour évaluer l’efficacité de la dépense d’éducation, nous avons passé en revue un certain nombre de politiques éducatives – la taille des classes, très rentable ; le redoublement, pas du tout rentable… Quand on fait cet exercice et qu’on compare à d’autres politiques publiques, on constate que la dépense éducative reste un des usages les plus efficaces des finances publiques.
Si certains responsables politiques estiment que les économies prioritaires pour le pays doivent porter sur l’Éducation nationale, il faut rappeler qu’un euro économisé à court terme peut engendrer un cout social de 9 euros à long terme. Si l’on veut traiter la dépense éducative comme un investissement, on doit être conscient que le budget de l’Education nationale, aussi important soit-il, n’est pas le gisement le plus intéressant d’économies à faire. Surtout qu’en comparaison internationale, notre dépense éducative n’est pas si glorieuse, en particulier dans le premier degré.
l’investissement éducatif n’est pas « rentable » à court terme, sinon on n’investirait jamais dans l’éducation ! La rentabilité s’évalue sur un temps long.
Fonctionnaires bashing versus le vrai cout des fonctionnaires pour l’État
Un autre chapitre qui a un intérêt pour le lecteur, c’est la question – technique mais avec des enjeux considérables – du mode de calcul des retraites des fonctionnaires de l’État (cf. Patrick Aubert, Maïlys Pedrono, Maxime Tô et Todor Tochev, « Retraites des fonctionnaires d’État : faut-il changer la convention comptable ? » in Perspectives budgétaires, chapitre 3, Institut des politiques publiques, juin 2025).
Ce mode de calcul conduit à une surévaluation très importante de ce que coute réellement un enseignant à la collectivité et, par conséquent, à une surestimation de la dépense publique d’éducation. Dans le taux officiel des cotisations de retraite des fonctionnaires de l’État, qui est d’environ 78 % – un taux beaucoup plus élevé que celui qui s’applique aux salariés du privé (autour de 17 %) – une subvention d’équilibre est incorporée. Or elle n’a pas de raison de peser particulièrement sur un ministère ou un autre, c’est une sorte de déficit partagé globalement.
Quand on fait le calcul corrigé, on obtient un « vrai » taux de cotisations retraite de 35 % pour les fonctionnaires. Et on s’aperçoit alors que la dépense éducative en France dans le premier degré est inférieure de 20 % à la moyenne des pays de l’OCDE – ce qui nous place dans le peloton de queue. Par conséquent, cela répond à beaucoup de paradoxes qui étaient posés : par exemple, comment était-il possible d’avoir une dépense à peu près dans la moyenne et des tailles de classe parmi le plus chargées d’Europe ? C’était parce que notre dépense était mal calculée, sinon on a bien effectivement des classes plus chargées qui s’expliquent par une dépense plus faible par élève, d’où la fenêtre d’opportunité que constitue la baisse démographique pour améliorer la dépense par élève sans augmenter le budget de l’Education nationale. C’est une opportunité qu’il ne faudrait pas laisser passer.
Économiser sur l’École, une fausse bonne idée
Et de la même manière, dans les débats qu’il va y avoir au Parlement, il faut cesser de calculer le cout des enseignants en leur appliquant le taux officiel des cotisations de retraite (78 %). En utilisant le taux corrigé de 35 %, on obtient un cout inférieur de 24 % à celui actuellement retenu dans les comptes publics. En surévaluant ainsi le cout des enseignants – et plus généralement des fonctionnaires – on oriente implicitement les arbitrages politiques vers une réduction de leurs effectifs, en entretenant l’idée qu’ils représenteraient une charge budgétaire excessive. Mais le coût réel n’est pas celui qui est affiché.
Non pas qu’il n’y ait pas d’économie à faire sur les dépenses de l’État, ce n’est pas notre perspective, mais en matière de dépense éducative, c’est vraiment le poste de dépenses publiques où il faut être vigilant avant de se dire que c’est une bonne idée de le raboter, parce que ce n’est pas ainsi qu’on finance la croissance future et le développement des compétences.
En surévaluant (…) le cout des enseignants – et plus généralement des fonctionnaires – on oriente implicitement les arbitrages politiques vers une réduction de leurs effectifs, en entretenant l’idée qu’ils représenteraient une charge budgétaire excessive.
La vraie raison d’une École qui dévisse…
La conscience que notre système éducatif est en perte de vitesse, hélas, n’est pas du tout mise en relation avec les moyens investis. On entend souvent dire qu’on y met énormément d’argent pour des résultats décevants. C’est vrai que les résultats sont décevants mais ils s’expliquent en partie par le fait qu’on ne met pas autant d’argent qu’on le pense, notamment dans le premier degré qui est absolument clé pour l’efficacité d’un système éducatif, puisqu’il faut intervenir tôt précisément là où se cristallisent les inégalités scolaires.
Par ailleurs, il faudrait commencer par dépenser comme les autres en investissant dans les leviers dont on sait qu’ils sont efficaces, c’est-à-dire non pas les groupes de besoin ou de niveau, ou le redoublement, mais réduire la taille des classes, investir dans le tutorat, dans la formation continue intensive des enseignants (centrée sur la discipline enseignée et ancrée dans la pratique de classe), les compétences socio-comportementales des élèves…
De nombreux dispositifs ont fait leur preuve, et quand on a des doutes, eh bien expérimentons ! Par exemple, il y a une incertitude sur l’efficacité de la taille des classes dans le second degré, parce qu’elle a fait l’objet de moins de recherches que dans le premier degré.
quand on a des doutes, eh bien expérimentons !
Cela va être un enjeu majeur de se demander jusqu’où aller dans la baisse de la taille des classes au collège. Il n’est pas compliqué d’expérimenter pendant un à deux ans des classes réduites en 6e dans une centaine de collèges et ensuite d’évaluer.
L’avantage dans le domaine d’éducatif, c’est qu’au bout d’un an on peut déjà avoir des réponses assez précises. Il n’y a pas beaucoup de politiques publiques où l’on peut disposer d’évaluations aussi rapides et informatives. Vu les masses budgétaires engagées, le jeu en vaut vraiment la chandelle : payer quelques centaines de milliers d’euros pour une évaluation bien faite permettrait de calibrer une politique dont les bénéfices potentiels se chiffrent en milliards d’euros.