Le Snamspen dénonce le passage des médecins de l’Éducation nationale aux collectivités territoriales

Le Snamspen/Sgen-CFDT dénonce le passage des médecins de l'Éducation nationale aux collectivité territoriales. Lettre ouverte à Madame Gourault, Ministre en charge de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

médecins de l’Éducation nationaleParis le 21/12/2020

Les médecins de l’Éducation nationale passent aux collectivités territoriales…

Madame la ministre,

Vous annoncez sans concertation avec les principaux intéressés le passage des médecins de l’Éducation nationale aux collectivités territoriales. Vous confirmez ainsi le désengagement de l’État quant à vouloir assurer une vraie politique de santé en faveur de chaque enfant et adolescent et des droits identiques en la matière qui ne soient pas assujettis aux politiques locales et territoriales.

L’État décide de se débarrasser du problème de la pénurie médicale qu’il a engendrée…

A ce jour, plus de 521 postes de médecins de l’Éducation nationale sont laissés vacants, sous la gestion de l’État et plus particulièrement celle du ministère de l’Éducation nationale, faute de salaires adaptés consentis pour recruter ces médecins de santé publique spécialisés dans la prévention individuelle et collective. Les missions de ces professionnels, visant à apprécier la globalité des situations, ont été réparties sur d’autres acteurs de l’École au profit d’actes ou d’expertises techniques, sans plus de diagnostic médical abouti. Les médecins scolaires sont interpellés dorénavant pour des problématiques chronicisées apparues en primaire ou en collège et qui se transforment en handicap ou en situation d’urgence faute d’une expertise médicale spécialisée sollicitée à temps.

Ni transfert de budget de l’État aux collectivités ni objectifs nationaux imposés…

Il nous semble finalement que l’État décide de se débarrasser du problème de la pénurie médicale qu’il a engendrée, en confiant la gestion de la médecine scolaire aux seules collectivités. Il n’est pas question dans vos propos, de transfert de budget de l’État aux collectivités pour assurer ce qui serait une mission supplémentaire avec des coûts de fonctionnement surajoutés et dédiés. Il n’est pas non plus question d’objectifs nationaux imposés afin que les missions médicales, qui étaient les nôtres en travaillant à l’Éducation nationale, soient enfin respectées comme elles le devraient. Au contraire, il est question de la liberté et de l’expérimentation au choix des collectivités, comme si la santé de l’enfant et le droit à celle-ci pouvait être encore le lit d’expérimentation alors qu’on attend une réponse urgente à la dégradation du service public !

Pendant ce temps d’expérimentations locales dans les collectivités, en lieu et place d’une action forte décidée par l’état, des milliers d’enfants n’auront toujours pas accès aux diagnostics médicaux quand leur réussite scolaire est entravée par des troubles des apprentissages ou des problématiques scolaires complexes.

L’absence de tutelle unique favorise déjà des inégalités territoriales de santé…

 

L’absence d’organisation de travail lisible et déployée en équipe pluriprofessionnelle et coordonnée pénalise la réalisation des missions de la médecine scolaire au sein de l’Éducation nationale. Mais actuellement, au niveau départemental, les différents acteurs médicaux, paramédicaux, sociaux, associatifs, ne peuvent pas mieux se coordonner quand il est question de la santé globale de l’enfant et de l’adolescent, du handicap, de la protection de l’enfance. En l’absence d’une tutelle unique – celle du ministère des solidarités et de la santé – les lourdeurs administratives, dépendantes des diverses « chefferies » administratives ou politiques, et entretenues par chaque département, freinent et cloisonnent tout autant le fonctionnement partenarial des acteurs et la possibilité d’agir en faveur d’une politique de santé efficiente pour la jeunesse. Nous assistons même actuellement, selon les départements, à la disparition ou la sélection des missions de la PMI dont les collectivités territoriales ont la charge, entrainant une majoration des inégalités territoriales de santé. Nous constatons le peu de moyens consentis aux CMPP, à l’ASE, à la MDPH pour traiter spécifiquement les problématiques de l’enfance et de l’adolescence.

Les collectivités territoriales sont-elles vraiment sensées venir à bout de toutes les difficultés bien identifiées de la médecine scolaire sous la tutelle de l’éducation nationale et faire face notamment à la pénurie d’acteurs médicaux et de travail en équipe sans plus de budget disponible pour les professionnels ?

Nous n’avons de cesse de dénoncer l’hétérogénéité des services publics en faveur de la jeunesse dès lors qu’ils dépendent de choix politiques territoriaux. Trop souvent, le déploiement de l’offre de service public et des budgets à y consacrer passe après la satisfaction des aides sociales définies par les politiques départementales, pour des publics ciblés en lien avec leur électorat.

Faute de moyens budgétaires fléchés consentis par notre État et d’une réelle volonté politique en faveur, non pas du seul soin curatif ou de la prévention tertiaire, mais d’une politique de promotion de la santé : la médecine de PMI et de santé scolaire se meurent alors qu’elles assurent une prise en charge globale et contextuelle de l’enfant dans tous ses milieux de vie, à même de prévenir les troubles, les pathologies, d’éviter les handicaps, l’échec scolaire et l’exclusion.

Une expertise globale, en capacité d’analyse et de synthèse des données contextuelles est de plus en plus nécessaire…

Aucune problématique infantile et adolescente, en termes de santé mentale et physique, troubles du neurodéveloppement, maltraitance, n’épargne le moindre de nos territoires. Le besoin en expertise globale, en capacité d’analyse et de synthèse des données contextuelles est de plus en plus nécessaire, pour faire face aux situations de plus en plus complexes des enfants et des adolescents, et à la pénurie d’offre de soins. Les médecins scolaires doivent être utilisés au mieux de leur formation très spécifique et autrement que pour valider des actes propres à la sécurité juridique des administrations de l’Éducation nationale comme des collectivités. Ils ne sont pas non plus destinés à se cantonner aux seuls bilans obligatoires des plus petits, en lieu et place de la PMI, alors même qu’ils seront empêchés de s’assurer de la réelle prise en charge médicale ou rééducative de ces enfants et de l’évolution de leurs troubles.

Nous ne pouvons pas croire, après les annonces tenues lors de la campagne électorale présidentielle faites au sujet de la prévention et de la santé de l’enfant, que ce gouvernement se désengage autant, sous couvert de l’expérimentation territoriale qui serait propre à trouver des ressources et une organisation qui font actuellement défaut partout.

La libre gestion des collectivités n’a pas montré son efficience en matière de politique en faveur de la santé des enfants et des adolescents…

Ces dernières années, nous n’aurons jamais autant constaté d’inégalités territoriales en matière de service public pour la santé des enfants, malgré la volonté politique de mobiliser les ressources médicales locales, pour remplacer le service public. Malgré une majoration de la cotation des actes, les médecins libéraux ou des centres de santé se sont montrés indisponibles ou non formés pour remplir nos missions. Ainsi, la libre gestion des Départements ou des Régions n’a pas montré son efficience en matière de politique en faveur de la santé des enfants et des adolescents, lorsqu’il est question d’assurer l’existence d’une expertise médicale contextuelle et de prévention globale et précoce. Ni les missions, ni les acteurs, ni l’organisation du travail, ni la hauteur de l’expertise n’ont été protégés. Au contraire, on assiste à une dégradation des services rendus à l’enfance et à l’adolescence, sous prétexte aussi que la santé publique est l’affaire de tout le monde.

Les revendications du Sgen-CFDT

Dès 2017, le SNAMSPEN/Sgen-CFDT demande le rattachement de la médecine scolaire à la santé…

Dès 2017, le SNAMSPEN/Sgen-CFDT lors de son audition à l’Académie de médecine demandait le rattachement de la médecine scolaire à la santé, afin de permettre la priorisation et la préservation des missions en faveur d’objectifs de santé au profit de tous les élèves. Nous avions défendu une formation statutaire pour nos collègues infirmières de l’Éducation nationale afin de mieux travailler ensemble, tout comme nous avions défendu, à travers le Sgen-CFDT, la notion d’équipe pluridisciplinaire de promotion de la santé pour assurer l’ensemble des priorités de santé sur ce public de 12,5 millions d’élèves.

En 2018, lors des travaux nationaux sur le parcours des 0-6 ans, le SNAMSPEN/Sgen-CFDT avait dénoncé l’abandon des priorités de santé à l’éducation nationale en faveur des élèves, comme le bilan de 6 ans, en raison d’autres missions jugées plus importantes par l’éducation nationale et faute d’organisation du travail entre professionnels au sein des écoles. Afin de réaliser et préserver ces missions, nous avions, à nouveau, demandé le rattachement des médecins de l’éducation nationale au ministère de la santé ou au minimum un statut interministériel à gestion ministérielle par le ministère de la santé.

Nous avions réclamé des budgets fléchés pour assurer le recrutement de nouveaux médecins scolaires (tant l’arbitrage laissé aux académies montrait l’absence de volonté de recrutement et la redistribution des budgets pour d’autres corps). Nous souhaitions que les missions en faveur des élèves soient correctement assurées, grâce aussi à un fonctionnement en équipe avec des personnels motivés pour cela, selon une charte de fonctionnement correspondant aux activités médico-sociales. Nous avions dénoncé les problèmes des locaux inadaptés et du coût de fonctionnement que personne ne voulait assurer pour les centres médico-scolaires.

La médecine scolaire ne peut être au service d’une politique et d’un budget aléatoire…

Nous avions proposé que les missions, redéfinies nationalement, soient réellement mises en œuvre dans chaque département avec, pourquoi pas, la création d’un « Service de promotion de la santé de la famille, de l’enfant et de l’adolescent » de 0 à 18 ans : PMI et santé scolaire côte à côte et non fusionnées, pour une meilleure lisibilité pour les usagers, les acteurs de l’école et de la santé.

Cette proposition a été portée par le SNAMSPEN/Sgen-CFDT dès 2018, mais avec des conditions précises ! On attend en effet de ce nouveau service public, auquel vous semblez adhérer Madame la Ministre, qu’il soit défini nationalement et piloté par chaque département avec des moyens budgétaires fixés, pérennes, indépendants d’un rendement qui ne prendrait pas en compte le temps d’expertise de situations complexes ou de concertations. Non, la médecine scolaire n’est pas au service d’une politique et d’un budget aléatoire, sauf à vouloir la faire s’éteindre dans le but de la faire porter par la médecine générale, actuellement soumise elle aussi à des tensions d’effectifs et à des obligations de soins curatifs et de prévention secondaire et tertiaire destinés aux adultes !

Le SNAMSPEN/Sgen-CFDT refuse que les médecins qui œuvrent pour la médecine scolaire soient au service des collectivités qui font actuellement disparaître la PMI et les missions en faveur des enfants.

D’ailleurs, les collectivités feront-elles l’effort de construire ou reconstruire les bâtis nécessaires pour développer de vrais centres de santé en faveur des familles, des enfants et des adolescents à même d’accueillir l’activité d’une équipe pluri professionnelle avec une salle de réunion pour les concertations, un secrétariat, une salle d’attente…. Les collectivités sont-elles prêtes à réhabiliter les lieux désertifiés des CMP, CMPP, PMI pour beaucoup trop petits et insuffisamment adaptés au travail d’équipe et à l’utilisation des outils numériques et informatiques ?

Les médecins scolaires veulent être des acteurs de santé reconnus pour leurs expertises…

Les médecins scolaires de l’Éducation nationale veulent être des acteurs de santé reconnus pour leurs expertises propres et pouvoir enfin servir la santé des enfants et des adolescents, futurs citoyens de demain, en prenant en compte tous leurs milieux de vie et en s’articulant pleinement dans les territoires et avec tous les acteurs de l’éducation nationale et de la Santé pour défendre enfin une politique de santé nationale en faveur de tous les élèves. La France des « baronnies » plonge les enfants et les adolescents vivant en France dans un pays de non droit !

Madame la Ministre, une fois de plus, les médecins scolaires de l’Éducation nationale ne cautionnent pas la majoration des iniquités sociales territoriales que vous proposez et que nous continuerons à dénoncer !

Docteur Patricia COLSON, Secrétaire générale du SNAMSPEN/Sgen-CFDT