Refuser la banalisation de la violence comme répertoire d’action politique ou syndicale, ce n’est pas réac

Tribune parue dans Le Monde du 22 janvier : « Refuser la banalisation de la violence comme répertoire d’action politique ou syndicale, ce n’est pas réac ».

Le 17 janvier 2020, une nouvelle fois, les locaux de la confédération CFDT ont été l’objet de violences. Ecrire cette phrase, à froid, prendre la mesure de chacun des mots, réaliser que si la façade n’est pas défigurée comme ce fut le cas nuitamment par le passé, l’action a visé directement des personnes. J’écris d’abord « des personnes » car il y a une gradation dans la violence.

Passer de l’atteinte aux biens à l’atteinte aux personnes n’a rien d’anodin.

Pour moi, la violence contre autrui comporte une part de négation, dans l’autre, de ce que nous avons tous et toutes en partage : humanité commune, capacité d’écoute et de débat, non pas d’abord pour s’affronter, mais comprendre.

Donc, oui, je suis choquée que des militants aient choisi de venir pour insulter, bousculer, bref, intimider et agresser des salariés et militants CFDT. Ceux qui pensent qu’on s’habitue à la violence, ceux qui pensent que la violence est une option minimisent les faits, minimisent le vécu de celles et ceux qui ont subi ces agissements. Je pense à ces militants et salariés.

Je sais que cela peut laisser des traces. Solidaire d’elles et eux, fière de partager le même engagement. Ils savent le soutien des militants de toute la CFDT. Notre cohésion interne politique mais aussi tissée de nos débats parfois vifs contribuera à la résilience, je l’espère.

La CFDT a des lignes claires sur la justice et sur le maintien de l’ordre en France

Il y a les faits. Et puis, il y a les mots pour en parler, et ceux-là blessent ou inquiètent aussi. Minimisation ou diversion alimentent l’insupportable justification de la violence. A la CFDT, nous serions une bande de naïfs découvrant que la violence existe. Evidemment non. Militants engagés, nous savons que notre société est abîmée par des violences, et en particulier par l’injustice sociale, les inégalités, le poids de leur reproduction.

Notre tendance, par conviction, par volonté d’incarner les valeurs que nous proclamons, est de refuser la violence, de chercher à la faire reculer. Nous ne considérons pas que la violence physique ou verbale est une modalité légitime de débat et d’action syndicale en démocratie (je reviendrai sur l’ajout de cette précision). Le désaccord, pour nous, ne justifie pas le recours à la violence.

Les insultes homophobes, les slogans ou insultes sexistes, le mot de « collabo » craché à la face de militants qu’on ne peut soupçonner de fascisme ou de racisme, les violences contre des lieux en pleine connaissance qu’ils ne sont pas vides, tout cela est inadmissible. Je l’ai parfois subi, j’en ai des témoignages anciens ou récents. Des militants CFDT les subissent depuis plusieurs semaines, je ne m’y résous pas, je ne banalise pas, je ne m’habitue pas.

J’ai lu aussi que la CFDT ne se soucierait pas des autres violences et des violences policières.
C’est mal nous connaître. Notre boussole, c’est la justice sociale. La CFDT a des lignes claires sur la justice et sur le maintien de l’ordre en France. Elle n’a pas attendu les violences policières récentes pour s’exprimer, s’adresser à des gouvernements à ce sujet. Qui se souciait des violences policières dans les banlieues ?

Où, jeune enseignante en Seine-Saint-Denis, avais-je pu débattre du sujet avec un policier sans tabou ? Dans les locaux de la CFDT à Belleville. Une confédération qui ne se soucierait pas des violences policières aurait-elle invité Ladj Ly pour une longue interview dans son magazine ? Nous n’amalgamons pas toute la police aux violences policières. Ce refus des amalgames et donc la nuance au cœur du discours cédétiste n’est ni le fruit du hasard, ni celui d’une présupposée mollesse.

Exigence et discipline de pensée, fruit des débats entre professionnels et militants, c’est ce qui nous fait toutes et tous grandir au sein de notre organisation syndicale. Ces violences et discours visant à les justifier me blessent autant qu’ils renforcent une fierté, des convictions, un sentiment d’appartenance. Sentiment d’appartenance qui me ferait presque peur s’il n’avait d’autre fondement que la réaction à ces violences, tant il ressemble à un esprit de corps.

Ce qui a fait mal ce soir aussi, ce sont ces mots d’une militante : « Consternée par la forme et le fond, la violence semble se banaliser et se généraliser. Je ne pensais pas tenir ce propos de vieille réac un jour. » Eh bien, refuser la banalisation de la violence comme répertoire d’action politique ou syndicale, ce n’est pas réac. C’est au cœur de la capacité à différencier un régime fasciste ou dictatorial d’une société démocratique. Dans ce type de régime, la résistance comme mot d’ordre permanent, comme mode d’action et d’être, est justifiée.

Mais la raison impose de reconnaître, et de se réjouir que la France n’est pas aujourd’hui dans une telle situation.

Notre société est une démocratie, une société de droit.

Elle est imparfaite, mais il est possible d’y agir, de s’organiser pour l’améliorer. Nous pouvons même débattre sur le comment et le sens des améliorations que nous voulons. C’est ce à quoi la CFDT, ses militants et militantes œuvrent au quotidien avec détermination, pacifiquement et résolument attachés au pluralisme.