Déconfinement en EPLE : mission impossible pour les gestionnaires ?

A l’issue de cette période de confinement, où les conditions de travail ont été très particulières, en EPLE cette soi-disant «reprise » s’apparente bien davantage à une prouesse façon Ethan Hunt. Le retour sur site des élèves et des enseignants n’a rien d'une "simple rentrée scolaire".

Après le confinement (sur ce sujet lire notre article ) , il y a eu le déconfinement phase 1…

Les missions des gestionnaires d’EPLE sont nombreuses, les responsabilités multiformes et la liste des questions sans réponses bien trop longue.  Dès l’origine, pour le retour en classe le moins que l’on puisse dire, c’est que l’impréparation fut patente.

1ère mission impossible – DES PROTOCOLES FANTASTIQUES

En EPLE, il fallait tout  organiser en appliquant les consignes des collectivités, qui  s’ajoutent aux protocoles de l’état. Des dizaines de pages de consignes souvent inapplicables sur le terrain. Car il faut le dire, beaucoup de parapluies se sont ouverts à tous les niveaux hiérarchiques. Le tout transmis au dernier moment évidemment,  à mettre en oeuvre sous la pression et dans le stress de l’urgence.

Nous regrettons une fois de plus la précipitation, les atermoiements et l’absence de concertation entre l’Etat et les collectivités locales. Cela concerne aussi bien les protocoles que les informations transmises. Pour les lycées par exemple,  les protocoles ont donné lieu à plusieurs versions – tant du rectorat que de la Région – entre fin avril et fin mai. Celui de la région passait de 163 à 169 pages en plusieurs étapes.

Les diseurs ne sont pas les faiseurs

En EPLE,  l’ouverture des établissements nécessitait  des informations, du matériel, des consignes (protocoles) préalables de trois autorités. La région gère les transports scolaires et en précise ses modalités. Il faut dire que le suspense nous a  parfois tenus en haleine jusqu’à la dernière minute : transport, pas de transport ?

Ensuite, la collectivité de rattachement (département pour les collèges, ou région pour les lycées) qui précisait  s‘il y a  restauration ou pas, et en fixe le cadre. Car la décentralisation lui a confié cette mission. Et généralement la direction de l’EPLE (personnels d’Etat qui gèrent l’aspect fonctionnel sur le terrain) n’a pas son mot à dire (1)…. Dans les EPLE où la quasi-totalité des élèves prennent les transports scolaires et mangent au self le midi, comment organiser la journée de classe, et par conséquent toute l’intendance nécessaire ?

Comment organiser le travail des personnels, sans savoir si la cantine sera assurée, et si  les personnels assurant l’entretien, l’accueil, la restauration seront en capacité de reprendre le travail ? Car aucune reprise des cours n’est possible sans ces autres invisibles indispensables, les agents techniques territoriaux. Ils sont chargés de l’entretien, l’hygiène,  de la maintenance, de la restauration, de l’accueil. A cause de la décentralisation, ils sont sous l’autorité hiérarchique de la collectivité, et (normalement !) sous l’autorité fonctionnelle du gestionnaire et du chef d’établissement.

2nde mission impossible – LES RETOMBÉES DE LA DÉCENTRALISATION

De plus,  « cerise sur le gâteau », la collectivité (décentralisation oblige) détermine –souvent sans concertation avec l’établissement  ni se préoccuper des besoins propres à l’EPLE- les dates et conditions  de reprise du travail de ces agents techniques. Lorsque la collectivité décide que les agents reprennent la veille ou le même jour que les élèves, cela  ne facilite pas vraiment la gestion de l’aménagement  préalable des locaux pour le retour en classe !

La Région Bretagne a décidé pour ses agents sans consulter les lycées. Nous dénonçons régulièrement cette absence de recherche de concertation avec les EPLE. Pas de reprise pour les agents chargés de l’entretien des espaces verts avant le 25/04, et pas de restauration en l’absence d’élèves alors que les agents, le personnel administratif et de direction, la vie scolaire avaient repris.

Quel soutien au service de l’élève ?

De nombreux services de la Région ont été aux abonnés absents depuis le début du confinement. Il fallait plusieurs jours pour obtenir l’autorisation pour la présence en EPLE d’un agent de maintenance indispensable à  la réalisation d’un contrôle annuel (électricité, extincteurs, SSI, …) alors même que les agents étaient d’accord de venir.

Nous avons aussi déploré parfois l’absence de soutien de services de l’état. Par exemple à la Dsden 56, après le 11 mai, les lignes téléphoniques ne fonctionnaient pas, et pas d’accueil du public malgré la reprise des cours début mai.

Cet éloignement  de l’usager du service public est regrettable,  alors que dans les EPLE, cette relation au service de l’élève nécessite une réactivité quasi-instantanée. Le gestionnaire est un facilitateur de la vie de l’établissement et dans le vaste domaine de l’intendance, il accompagne tous les projets de celui-ci.

Gestionnaires : dans l’ombre,  mais forcément responsables

Les  gestionnaires sont  «membres de l’équipe de direction, chargés des relations avec les collectivités et de l’organisation du travail des personnels administratifs et techniques ». Par conséquent, ils et elles sont chargé·e·s, sous l’autorité des chef·fe·s d’établissement,  de  mettre en œuvre les consignes et protocoles  de l’état et des collectivités ( !).

De ce fait, ils et elles  voient aussi quotidiennement leur responsabilité engagée en matière de sécurité des locaux, de sécurité des personnels, de sécurité alimentaire. Toutes ces missions figurent parmi leurs domaines de compétence.

Tout  organiser en appliquant les consignes des collectivités, qui  s’ajoutent aux protocoles de l’état ? Des  consignes parfois incompatibles  avec les plus élémentaires règles de sécurité….les voilà  piégés dans  les  contradictions de l’état et  des collectivités…

Sécurité VS sécurité, les dilemmes insolubles

Certains craignent pour la première fois avec le COVID 19, voir mise en jeu leur responsabilité « sanitaire ». Les gestionnaires (et les  chef·fe·s d’établissement), voient en revanche leurs responsabilités s’alourdir encore davantage.

COMME PAR ENCHANTEMENT, la  mise en œuvre des protocoles  liés au COVID fait  disparaitre toute utilité aux dispositifs de sécurité pré-existants.

En voici quelques exemples :

  • Les circulations sont modifiées, des portes condamnées ou au contraire bloquées en position ouverte. Ces mesures prises pour éviter le croisement des élèves, rendent inefficaces des dispositifs liés à la SECURITE INCENDIE. En outre, ils remettent parfois en question les plans d’évacuation en cas de sinistre.
  • Garder des portes ouvertes pour éviter la multiplication de contact avec des poignées ? Laisser ouvert les grilles d’entrée, faute de pouvoir désinfecter les boutons d’appel à chaque passage ? C’est en contradiction avec le plan VIGIPIRATE qui veut sécuriser l’accès aux locaux.
  • Oubliée la loi 1192 de 2010 ? Avec le port généralisé du masque, on peut aussi s’interroger sur la responsabilité qui pourrait peser sur l’EPLE. C’est  comme si ce risque terroriste  avait lui aussi disparu avec le Covid…
  • On pourrait aussi parler de PPMS et des plans de confinement dont la cohérence est remise en cause… la liste serait trop longue. A chaque arbitrage, les décisions prises sur le terrain mettent en jeu leur responsabilité en cas de problème.

Sécurité sanitaire vs environnement et équilibre alimentaire,

L’hypothétique « monde d’après »  : une illusion pour les naïfs ?

Nous regrettons vivement  que la pandémie en cours ait fait faire un retour en arrière à de nombreuses collectivités. Oubliées les démarches environnementales et alimentaires. Des départements (au moins le Morbihan et l’Ille et Vilaine) ainsi que la région Bretagne n’ont rien trouvé de plus pertinent que d’imposer  la  vaisselle en plastique et le service junk-food  (2).

Le vieux monde a encore de beaux réflexes, …hélas…

Et malheureusement, nous ne pouvons terminer cette rubrique sans évoquer une question omniprésente, sur l’épisode qui pourrait s’intituler :

 3ème mission impossible – BOGUE NATION

Car l’approvisionnement, en particulier en masques, mais aussi en gel hydro-alcoolique relève plutôt d’un énorme BUG étatique depuis le début. L’état a promis des masques, sans préciser pour qui ni quand.  Promesse de masques lavables jamais livrés et/ou  arrivée de quelques masques papier jetables couvrant à peine quelques jours de fonctionnement. Pas de gel hydroalcoolique….

Le recteur avait informé par courrier du 30/04 de la livraison de masques dans les EPLE pour début mai, donnant même le nom du transporteur chargé de l’opération. Début d’un cafouillage de grande ampleur puisque les masques ont joué l’Arlésienne jusque fin mai dans de nombreux secteurs. Les gestionnaires se sont encore une fois sentis bien seuls, sans aucune information fiable ni du rectorat ni des DSDEN.

Des masques, mais enfin quand seront-ils livrés ?

Début juin la question se pose de savoir si un seul établissement a reçu la quantité annoncée de masques lavables : 4 à 6 par enseignant et par élève.

Dans cette opération, encore une fois les affichages politiques, médiatiques ont primé sur la bonne gestion matérielle. Fallait-il rassurer tout le monde et donner l’impression de tout maitriser ? Hypothétiques approvisionnements, les gestionnaires ont bien l’impression que nul ne sait combien et quand ils seront  livrés et renouvelés. Et combien de temps le stock va-t-il durer ?

Pire encore, des craintes sur la qualité et la conformité aux normes sanitaires de ces masques sont générales …. Leur usage va t-il alors redevenir « scientifiquement » inutile, pour la simple incapacité à en approvisionner ?

ALORS,  pour le déconfinement phase 2 qui débute cette semaine, les protocoles inapplicables qu’il a fallu tout de même appliquer sont-ils  finalement totalement superflus ?

Parce qu’enfin, il s’agit bien d’accueillir « coûte que coûte » TOUS les élèves dans cette phase 2…

 


(1) la décentralisation,  vaste sujet riche en revendications. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas amélioré les conditions de travail des adjoint·e·s gestionnaires.

(2) sandwich, pizza, etc…


 

Pour l’anecdote, les fans de la saga auront vu l’allusion aux épisodes :  « mission impossible 4 – PROTOCOLE FANTÔME« , à « mission impossible 5 – ROGUE NATION, et à « mission impossible – FALLOUT »