lOI 4D – EPLE et décentralisation : revers et envers du décor

Pour compléter notre article "transfert des adjoints gestionnaires, le serpent de mer", nous abordons ici plus particulièrement l'impact de la double tutelle sur les adjoints-gestionnaires des collèges et lycées.

Décentraliser des missions déjà entièrement déconcentrées avait t-il un sens ? (1).

Au travers du vécu sur le terrain, tentons d’apporter ici un éclairage particulier sur une facette généralement niée des décentralisations. Sujet tabou au cœur de plusieurs paradoxes.

En effet, les constats et analyses de la loi de décentralisation de 2004 (2) à l’Éducation Nationale, mettent généralement en exergue la rénovation des bâtiments par les collectivités ou la modernisation des équipements. Et surtout, l’amélioration (indéniable) des conditions de rémunération des personnels d’entretien, d’accueil, de restauration et de maintenance…

 

Une « lune de miel » apparente, et  de courte durée


 

Mais si ces progrès sont indéniables, ils occultent une partie immergée de l’iceberg. Le malaise des gestionnaires, chargés des relations avec la collectivité et la perte de sens partielle de leur travail, directement liée à cette double tutelle, sont passés sous silence. Comme voués aux oubliettes de l’histoire.

évincés

En  effet, dans le cadre de l’autonomie des EPLE, les gestionnaires étaient jusque là responsables des missions confiées en 2004 aux collectivités. L’organisation de la restauration, de l’hébergement, le pilotage de la maintenance, de l’entretien, de l’accueil, les menus, la gestion des emplois du temps, la répartition des tâches relevaient des choix des EPLE et de leurs conseils d’administration.

Ainsi, l’affectation d’agents dans les lycées se fait sans que l’établissement soit associé au processus (entretien, choix).

Pour les aspects matériels, cela peut aller jusqu’à l’absurde. Par exemple, obligation d’obtenir l’accord d’un technicien restauration (personnel région) pour simplement déplacer une vitrine réfrigérée dans une zone de distribution de repas, ceux-ci se prononçant au vu du plan.

La décentralisation a généré un sentiment de spoliation et une perte d’autonomie des EPLE dans ces domaines de compétence.

 

Du circuit court…

Avant 2004, le/la gestionnaire, sous l’autorité du chef d’établissement, exerçait ces prérogatives, proposait, adaptait. En lien direct et au cœur de la vie de l’établissement, au service des projets de l’établissement. Présent sur site, il agissait dans ces missions avec une réactivité instantanée, puisque directement sous l’autorité du chef d’établissement. Les circuits courts décisionnels étaient la règle, au plus près du terrain.

Prise en charge de leurs nouvelles prérogatives, dans un premier temps, les collectivités ont « atterri en douceur» sur le terrain de l’EPLE. Milieu qu’elles ne connaissaient pas.  Elles  ont découvert un univers particulier. Regard tantôt bienveillant, mais aussi parfois condescendant et très méprisant sur les fonctionnements existants.

…au court-circuitage

Malheureusement, le dialogue avec la direction de l’EPLE, indispensable au départ pour mieux connaitre l’environnement et s’approprier les problématiques, s’est vite réduit à une concertation de façade. Le dialogue a souvent fait place à de « grands messes » où les collectivités invitent les équipes, à une « concertation » qui se réduit à un catalogue de consignes descendantes.

Blessant pour les adjoints gestionnaires. Négation de l’expérience acquise, voire dédain vis à vis de leur expertise sur ces missions.

Depuis, et au fil des années, la collectivité se positionne de plus en plus en simple donneur d’ordre « c’est moi que v’la » et « pousse toi que je m’y mette ».

Quant-au « dialogue de gestion » annuel, mis en place par la région, il se résume à un monologue des représentants Région. Ils ne sont pas là pour dialoguer, mais pour « faire avaler », voire avaliser leurs décisions. Les équipes de direction des lycées (chefs d’établissement et/ou adjoints gestionnaires) ne réussissent pas à se faire entendre, ni même écouter.

 

  Les dés étaient pipés.

Dans le fonctionnement quotidien, des conventions de partenariat (ou autres dénominations) existent.  Mais pour se concerter, il faut être deux à égalité. En réalité, la compétence décisionnaire étant du ressort de la collectivité, la parité reste une vue de l’esprit.

 

La posture impossible


 

 Ecartèlement

Mais pire, le processus a placé de facto les gestionnaires, membres de l’équipe de direction, fonctionnaire d’État, en lien de subordination vis-à-vis de la collectivité.

Imaginez-vous la situation suivante : vous êtes dessaisi du jour au lendemain d’une part de vos domaines d’expertise, confiés à la tutelle d’une entité qui vous considère comme un pion gênant, sur des domaines où vous étiez décisionnaire. Le travail ne  disparait pas, mais quel sentiment de déclassement, de mépris, et quelle perte de sens ! Qui souhaiterait vivre cela ?

Si encore vous aviez le sentiment de davantage d’efficacité !… mais non, même pas  !

Le défaut originel

La question est donc posée : décentraliser des missions déjà totalement déconcentrées apportait-t-il de l’agilité dans le service rendu aux élèves ? La réponse est dans la question …

Qui peut croire que le transfert de missions d’un établissement à taille humaine, où les décisions étaient prises et mises en œuvre localement, sur le terrain, vers une collectivité extérieure, qui multiplie les strates décisionnaires, permet d’être plus efficient ?

 

 

Résultats ?


Au fil des années, les équipes de direction des EPLE subissent de plus en plus régulièrement l’autoritarisme et les injonctions descendantes des collectivités. « C’est  notre décision, on ne vous demande pas votre avis », combien de fois entendu ?

Autonomie budgétaire ? Autonomie tout court ?

L’autoritarisme prend aussi la forme de « consignes » budgétaires qui sont en réalité des atteintes à l’autonomie de l’EPLE, dans ses choix éducatifs. Par exemple, subventions sont fléchées, voire « colorées » politiquement. Ce qui constitue en réalité un interventionnisme dans le domaine pédagogique. L’EPLE doit parfois renoncer à certains projets car ils ne correspondent pas aux choix politiques de la collectivité.

On voit même de-ci de-là des notes de  collectivités qui précisent « le rôle des enseignants » ou « le rôle de la vie scolaire » dans leurs protocoles !

Y a-t-il au moins un progrès et une plus  grande agilité du service public d’éducation ?

Des strates, encore et encore

En réalité, l’agilité est devenue impossible. Par accumulation de lourdeurs bureaucratiques et procédurales, et maints obstacles au bon fonctionnement de l’EPLE. Sans parler de la multitude d’intermédiaires et d’interlocuteurs dont les missions et le niveau de marge décisionnaire sont illisibles  pour l’EPLE.

Alors, pour les adjoints-gestionnaires ?

Il ne faut pas croire que la charge de travail des gestionnaires a diminué.  En revanche, la complexification et la bureaucratie sont souvent de mise, au détriment de la réactivité et de l’efficience, allant même parfois à la paralysie.

On constate dans presque toutes les collectivités locales :

  • Un phénomène « armée mexicaine » avec de nombreux directeurs, chefs, responsables etc …mais peu de personnes chargées de l’exécution !
  • Des problèmes de relations internes entre services de la collectivité, relations difficiles voire inexistantes, ce qui oblige la/le gestionnaire à multiplier les courriers, mail etc  … voire à jouer les intermédiaires ou même le « facteur » entre ces services.

Ironique non ? les collectivités font subir aux personnels d’État des EPLE ce qu’elles reprochent elles-mêmes à l’État : lourdeurs, bureaucratie, ingérence, manque d’autonomie.

Après l’apparente embellie, la disette

 

RABOTAGE À TOUS LES ÉTAGES


 

Les collectivités  sont actuellement engagées dans des dispositifs intitulés « protocoles », «améliorations », «engagements ». En particulier dans les domaines GRH de l’accueil, de l’entretien, de la maintenance.

Elles présentent divers dispositifs dont les objectifs seraient la recherche d’équité, de simplification, de meilleures qualité de service…

En réalité, ces dispositifs ont un point commun. Ils se traduisent par des suppressions de postes de personnels d’entretien, d’accueil, de maintenance.

…Mais il y a pire…

Après avoir supprimé des  postes, les collectivités se déchargent maintenant de leurs responsabilités.


Devinez sur qui ?

 Sur les personnels administratifs ou vie scolaire de l’Eple
  • Des collectivités n’assument plus leur mission d’accueil. Par conséquent les secrétariats de l’EPLE, ou la vie scolaire doivent y palier en plus de leurs missions habituelles.
Et sur les Adjoints-gestionnaires  des Eple … exemples :
  • Les adjoints-gestionnaires doivent pallier comme ils peuvent la dégradation des conditions de maintenance, et le manque de personnels d’entretien. La communauté éducative s’adresse évidemment en premier lieu au gestionnaire pour se plaindre et demander des résultats.
  • Enfin, la suppression fréquente des postes d’agent d’encadrement des personnels techniques, se traduit par le renvoi de la charge des missions de management des équipes techniques vers les adjoints-gestionnaires.  Au prétexte que c’est dans leurs missions !!!!!  ….

CRUEL RETOUR NON ?

 

…. à suivre évidemment, nous n’avons pas fait le tour de la question….

 


 

(1)  décentralisation et déconcentration

La décentralisation vise à confier à une collectivité territoriale, élue, le pouvoir de décision (communes départements, régions). La déconcentration est le processus qui délègue le pouvoir de décision à des fonctionnaires d’État, au plus proche du terrain.

(2) Lois de décentralisation – bref rappel

Créés en 1985, les EPLE, établissements publics locaux d’enseignement, dotés de personnalité morale, ont un budget propre et un conseil d’administration (organe délibérant). Diverses lois de décentralisation l’ont placé ensuite sous la double tutelle Etat/collectivités territoriales.

La loi de 2004 a confié aux départements (pour les collèges) et régions (pour les lycées) les responsabilités suivantes :

  • La construction, la maintenance et l’entretien des bâtiments.
  • L’accueil
  • La restauration et l’hébergement (internats) des élèves
  • Le recrutement et la gestion des personnels techniques assurant l’entretien, la maintenance, la restauration et l’accueil. Ces personnels sont placés sous l’autorité hiérarchique de la collectivité et sous l’autorité fonctionnelle de l’équipe de direction de l’Eple.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

Notre article : Transfert des adjoints gestionnaires, le serpent de mer …