Témoignage : Votre métier c’est …. ?

Témoignage de Jocelyn Verdier, directeur d'école à Pluneret (56).

Le suicide de Christine Renon a libéré l’expression des souffrances vécues au travail.

En réunion intersyndicale, ceux qui refusent tout changement statutaire pour l’école préféraient noyer son geste terrible dans un flot de revendications toutes légitimes mais renvoyant ainsi la direction d’école dans le placard des accessoires, entre AESH maltraitées et profs surmenés. Insupportable !

L’écoute justifiée de toutes les souffrances, leur nécessaire expression et la recherche de solutions ne doivent pas nous amener à tout agglomérer sous peine de nier la spécificité de ce drame : C’est une directrice d’école qui s’est suicidée parce que directrice. Quelqu’un dont le métier, au centre de toute l’organisation du 1er degré, n’est pas officiellement reconnu.

Pas de statut ! s’exclament les tenants du conservatisme.

Or la reconnaissance d’un métier passe par celle de son objet de travail donc, pour la direction d’école, par la définition de l’école.

Le collège des Iles du Ponant ne ressemble pas à un collège du centre de Rennes. N’empêche que tous deux ont à leur tête un responsable identifié et reconnu comme tel au travers d’un statut qui n’est pas celui du prof, du C.P.E. ou de l’agent technique. Au contraire, actuellement mal identifié, le riche métier de directeur d’école est aussi constitué à parts variables, de professeur, surveillant, comptable, coordonnateur, standardiste, concierge, psychologue, gestionnaires de R.H., pompier, secrétaire … (tout cela en même temps et à tout moment). La différence de moyens que la Nation met au service d’un élève de 6e et d’un élève de CM2  est édifiante. Jusqu’à quand va-t-on supporter cela ? Avant d’être une question de moyens financiers, l’écart repose sur une différence de statut, l’école primaire n’ayant pas d’existence légale.

Après des écoles de toutes tailles, en campagne puis en ville, je dirige maintenant une grande école primaire. On m’apostrophe fréquemment « Tu es déchargé à plein temps ». Ben oui, c’est sûr, je vais à la pêche tous les jours ! ». J’avoue ressentir à chaque fois la négation de mon métier. Invariablement je corrige en « Je suis directeur à plein temps ! »

De même dans la vie courante, à la question « votre métier ? », je réponds « directeur d’école ». Je triche, je le sais : en réunion à la DSDEN, sur mon chevalet de table on lit « professeur des écoles ». Sur mon bulletin de paye, c’est d’abord P.E. puis mon grade puis enfin directeur d’école, pour tout dire une fonction accessoire qui peut être retirée à tout moment.

Lorsque des parents viennent à ma rencontre, ils pensent avoir affaire au patron du site scolaire. Quand je leur apprends que je n’ai même pas compétence pour signer un stage de quatre jours, ils ne comprennent pas. Sur le sujet, ce n’est pas dans la société que s’expriment les conservatismes mais dans notre propre maison. La loi publiée cet été enfonce le clou : pas question de laisser à ces irresponsables la faculté d’aménager la scolarité des trois ans. Signature de l’IEN obligatoire !

Je fais un job dont chacun reconnaît l’utilité quand mon action lui permet de fonctionner mais que peu souhaitent faire.

Dans les petites écoles, surtout ne changeons rien tant qu’un pauvre fou veut bien s’y coller. Dans les écoles plus grandes, surtout ne changeons rien, le fou pourrait devenir le chef ! De toutes parts (mairie, IEN, profs) chacun s’arrange de la situation et semble considérer que l’école est une chose trop sérieuse pour être confiée à la personne censée la diriger.

L’essentiel n’est-il pas qu’en cas de pépin on puisse lui retomber dessus ?