Audience conditions de travail dans le 1er degré : Un peu d’écoute, beaucoup de déni

Le Sgen-CFDT Bretagne a été reçu en audience le 21 juin 2023 sur la question des conditions de travail dans le premier degré. Les alertes ont été nombreuses mais les réponses ne sont clairement pas à la hauteur de la situation. Nous souhaitions interpeller le rectorat sur les points suivants.

Les alertes sur les conditions de travail des professeur·es des écoles sont multiples et malgré celles-ci la situation se dégrade d’année en année sans que notre institution, y compris au niveau académique, ne semble en prendre toute la mesure. Au CRPE 2023, 1250 postes ne sont pas pourvus.
Le Sgen-CFDT Bretagne était reçu mercredi 21 juin par :

  • Madame CIUBUCCIU DRH adjointe en charge du premier degré
  • Monsieur BODIN IEN A d’Ille et Vilaine
  • Madame GAPIHAN Directrice adjointe de cabinet du recteur.

DES APPELS AU SECOURS MASSIFS

Les fiches SST (Santé et Sécurité au Travail), dans notre académie, émanent à 80% du premier degré. Les demandes de détachement (plus fréquentes du 1er degré vers le 2nd degré que l’inverse) mais aussi les démissions et ruptures conventionnelles augmentent (+470% depuis 6 ans sur notre académie).
Des collègues pourtant passionné·es par leur métier quittent l’Éducation Nationale, non sans une certaine amertume, afin de se protéger.

On  ne peut se contenter de réponses individuelles : Nous sommes face à un problème systémique, face à l’expression d’une souffrance au travail d’ampleur.

Pour le rectorat, la réponse individuelle reste primordiale face à des situations difficiles. De façon plus globale, un travail est en cours sur l’évaluation des risques professionnels, spécifiquement dans le 1er degré afin de mieux les cerner.

Ce travail doit aboutir à un plan d’action. Parallèlement le programme « Céciriské » (à travers un jeu de cartes sur les risques professionnels) va se déployer dans les écoles.
Différentes thématiques liées à la l’analyse des fiches SST sont abordées au cours de groupes de travail.

La dématérialisation des fiches a entraîné une hausse des signalements (d’après le Sgen-CFDT, c’est plutôt l’augmentation des situations difficiles qui a accru le nombre de fiches). Les signalements au sujet des élèves perturbateurs et les parents agressifs concernent davantage le 1er degré. Dans le 2nd degré les exclusions d’élèves sont possibles et les enseignants sont moins confrontés aux parents.
Certaines situations s’enkystent selon M. BODIN parce que le nombre de places dans les établissements spécialisés est très limité, mais ce nombre dépend du ministère de la santé.

Pour le rectorat toujours, la hausse du nombre de ruptures conventionnelles correspond  au souhait des personnels de se lancer dans de nouveaux projets de vie (sic).

Pour le Sgen-CFDT :

Le temps d’analyse et de remontées sur l’évaluation des risques sera long alors que nous sommes dans une situation d’urgence.
Le rectorat renvoie à des questions individuelles : Facilité d’accès au RSST, élèves perturbateurs et agressifs. Alors que la question est systémique :

  • Il y a une problématique de fatigue professionnelle, due à une multiplication des taches, liées pour partie à l’école inclusive.
  • D’explosion du temps de travail.
  • D’inadaptation des programmes et d’injonctions contradictoires (Un système essentiellement normatif ne peut pas être inclusif)

Concernant les ruptures conventionnelles, le rectorat est dans le déni de la réalité : Seuls les personnels faisant part d’un nouveau projet professionnel peuvent obtenir une rupture conventionnelle, les collègues évitent donc de mentionner leur mal-être dans leurs dossiers de peur qu’il soit refusé.

Une fois que le constat des difficultés ressenties par les collègues est posé, que fait-on pour les soulager dans leur quotidien ?

Ecole inclusive

L’école inclusive est une révolution pour l’école, cela demande de la formation, de l’accompagnement, du temps, des moyens et de la confiance. A ce jour ces éléments ne sont pas au rendez-vous et nos collègues du premier degré ne peuvent tenir ce pari (nécessaire) de l’inclusion sans le soutien de l’institution.

Pour le rectorat certains enseignants sont réticents à l’idée d’accueillir des enfants en situation de handicap sous prétexte que « ce n’est pas leur métier ».

Pour le Sgen-CFDT :

Le Sgen-CFDT est favorable à l’inclusion et précise que le discours des enseignants porte surtout sur l’absence de formation et d’aide pour une inclusion dans de meilleures conditions.
L’école inclusive nécessite de repenser le système globalement, il faut penser l’accessibilité pour tous. Nous continuons en réalité à fonctionner sur un mode intégratif plus que réellement inclusif.

La principale difficulté de nos collègues vient de cette injonction paradoxale de l’Institution : vous devez à la fois respecter et produire de plus en plus de normes (programmes, évaluations, méthodes, horaires,…) et accueillir des profils d’élèves de plus en plus différents.

UNE FORMATION CONTINUE EN DÉSHÉRENCE

La formation défaillante dans le premier degré ne permet pas de faire face aux enjeux de l’école d’aujourd’hui. En particulier à celui de l’école inclusive. Les personnels se sentent de plus en plus seuls dans leur classe face à des exigences institutionnelles et pédagogiques qui leur paraissent insurmontables.

Nous le disons depuis des années, l’absence de réelle formation et surtout l’absence de possibilité de choix, (0,2 % des formations dans le 1D pour l’académie de Rennes) ne permettent pas aux personnels de s’adapter aux changements.
D’après un sondage réalisé à la rentrée par le Sgen-CFDT Bretagne, le taux de satisfaction n’est que de 2 %. Par ailleurs le rapport de l’Inspection générale de 2017 sur la formation du 1er degré la juge inefficace.

Pour le rectorat le plan de formation académique est soumis aux contraintes du plan national. Les constellations ne sont contraignantes que deux ans tous les six ans pour les collègues. La formation aux valeurs de la république est associée aux constellations pour ne pas bloquer une troisième année.

Pour le Sgen-CFDT :

Le choix possible 4 ans sur 6 (hormis les 2 années de constellation) se fait uniquement en maths/français, c’est donc un choix contraint. Nous demandons par ailleurs que les collègues aient la possibilité de choisir une formation inter-catégorielle académique en lieu et place des formations de proximité dans le cadre des 18h.
(Refusé à ce stade).
Nous n’avons pas eu de réponse sur le fond, sur la qualité et l’organisation de la formation. Ni sur son adéquation aux besoins et aux attentes des personnels.

UN MANQUE DE BIENVEILLANCE

Les rapports avec la hiérarchie

L’attitude de la hiérarchie, des IEN pour dire les choses clairement, n’est pas toujours bienveillante lorsque nos collègues se retrouvent en difficulté. Cela accentue le sentiment d’échec ressenti par certain.es d’entre elle/eux. Certains rendez-vous de carrière sont très mal vécu.
Nous insistons sur les pratiques ressenties comme maltraitantes par les collègues

  • Dans le 35, les convocations des collègues par le DASEN pour « posture professionnelle »
  • Refus, dans certains départements, des demandes d’autorisation d’absence facultatives, y compris pour assister à des funérailles (avec la demande de présenter un certificat de décès pour assister à des obsèques !!)
  • Les enseignant·es de maternelle ne peuvent toujours pas faire appel à plusieurs intervenant·es dans le cadre des EAC.
  • Refus des demandes de temps partiels.

Pour le Rectorat  cette attitude des IEN s’inscrit dans l’histoire. Autrefois, les circonscriptions fonctionnaient comme des « baronnies » nous dit Monsieur BODIN. Elles étaient « dirigées » avec un ascendant fort sur l’ensemble des collègues.
En 2018-2019 les IEN ont bénéficié d’une formation à l’encadrement bienveillant qui nécessiterait certainement des piqûres de rappels régulières.
Le rectorat travaille à une harmonisation des ASA (Autorisations Spéciales d’Absence) au niveau académique. Des consignes vont être passées aux IEN pour se montrer plus bienveillants dans le traitement des autorisations d’absences.

Pour le SGEN-CFDT :

La hiérarchie doit cesser les pratiques infantilisantes vis à vis des PE, les professeurs des écoles sont  des cadres A de la fonction publique. Ils sont à même de concevoir leur enseignement dans le cadre des programmes.
Il faut par ailleurs en finir avec les pratiques maltraitantes et mesquines citées ci-dessus.

Les RDV de carrière

C’est aussi l’occasion de rappeler les bilans de rendez-vous de carrière comparés entre 1er et 2nd Degrés.
Nous avons publié deux articles à ce sujet qui mettent en évidence une différence très nette d’attitude de la hiérarchie envers les collègues selon leur statut. Cette attitude est très nettement défavorable aux PE.
(voir nos articles à ce sujet 2018-2019 et 2020-2021)

Pour le rectorat le passage à la hors classe continue à s’élargir pour tout le monde. Le double regard (IPR et chef d’établissement) explique la disparité des appréciations entre 1D et 2D.
Un travail est en cours au plan académique pour veiller à une harmonisation des avis finaux (1er et 2nd degré) posés par le recteur. (Nous aurons l’occasion d’y revenir après le bilan des Rdv de carrière qui se tient fin juin)

Les difficultés de remplacement

Manque chronique de remplaçant·es. Répartition des élèves dans les classes, qui se retrouvent ainsi surchargées  Le Sgen-CFDT Bretagne, passe désormais la consigne au collègues de ne plus accueillir les élèves en cas d’absence PREVISIBLE de l’enseignant·e.
Ecart de salaire entre 1D et 2D (341 euros en moyenne entre PE et Certifié·es, 450 euros entre une femme PE et un homme certifié).

Le rectorat  partage le constat de la priorité du ministère pour les remplacements  dans le 2nd degré.
Un travail est prévu sur le « vivier des remplaçants ».

DES OBLIGATIONS RÉGLEMENTAIRES DE SERVICE À REPENSER

Par ailleurs, les obligations réglementaires de service des enseignants du premier degré ne sont pas définies par le seul temps de face à face élèves. Elles intègrent des temps de réunion, de concertation, de rencontre avec les familles et d’activités pédagogiques complémentaires. Tout cela au sein d’un forfait annuel de 108h.
La multiplication des tâches administratives et des concertations liées entre autres à l’inclusion scolaire, amènent la très grande majorité des collègues à dépasser largement ce forfait. D’autant que l’institution a pris l’habitude de renvoyer toute nouvelle mission  à ces 108h. (ex de la liaison école/collège)

Le rectorat nous informe qu’un débat national a lieu actuellement concernant l’organisation des service des enseignants du 1er degré. L’engagement des PE est reconnu dans les bilans des RDV de carrières.

Pour rappel : Obligations Réglementaires de Service  des professeur·es des écoles 

 Pour le Sgen-CFDT

Les PE ont le sentiment d’en faire toujours plus sans que cela ne donne lieu à compensation (en temps ou en salaire). C’est également un élément qui participe à un sentiment de manque de reconnaissance.
S’ajoute à ces éléments une mobilité professionnelle de plus en plus compliquée, pour des personnels dont les profils (âge, situation familiale etc…) se sont modifiés profondément au cours des dernières années.

UNE FUITE DES PERSONNELS

Dans ce contexte de manque de reconnaissance et de rémunérations en berne, les Obligations Réglementaires de Service trop lourdes, le métier de professeur des écoles perd non seulement en attractivité, mais il fait fuir de plus en plus de personnels pourtant motivés.

  • Démissions et ruptures conventionnelles :
    En 2014 : 16 départs de l’EN au niveau académique
    En 2021 : 111 départs
  • Demandes de disponibilités :
    Si l’on prend les 6 dernières années ces demandes ont augmenté de 75% dans le 1D et de 34% dans le 2D
  • Détachement :
    Cela concerne pour l’essentiel les enseignants du 1D (155 sur 160).

En conclusion

Le rectorat a entendu nos revendications, nous nous satisfaisons de la nomination de Madame CIUBUCCIU qui montre qu’il y a un prise en compte de la situation.
Pour autant nous regrettons que trop de sujets soient renvoyés à des responsabilités nationales ou extérieures.
Nous considérons que sur de nombreux points le rectorat reste dans le déni des réalités de travail vécues par les personnels et minimise la souffrance au travail des PE. (lire notre déclaration au CSA du 29 mars dernier)
Nous aurons l’occasion d’y revenir lors des instances à venir et de nouvelles demandes d’audiences.